Homélie de Mgr di Falco au rassemblement diocésain
RASSEMBLEMENT DIOCESAIN
NOTRE-DAME DU LAUS
15 ET 16 OCTOBRE 2005
Qu’êtes-vous venus chercher ici au cours de ce week-end ?
Qu’avez-vous déposé aux pieds de Notre-Dame du Laus ?
Pour quelle prière exaucée avez-vous rendu grâce ?
De quel fardeau trop lourd à porter vous êtes-vous déchargé ?
Qu’avez-vous apporté à partager avec les autres ?
De quoi parliez-vous tout en marchant ? De quoi, de qui, avez-vous parlé, avons-nous parlé tout au long de ces deux journées ?
La réponse à ces questions est le secret de votre cœur. Cependant, il n’est pas trop difficile de les deviner ces réponses. Comme les disciples d’Emmaüs sur les chemins de la vie, notre route est parsemée de déceptions, de doutes, d’inquiétudes, d’angoisses, de colères, de révoltes, de pourquoi, de pardons difficiles à accorder ou à demander. Les blessures ne manquent pas, même pansées, les cicatrices restent longtemps apparentes.
Il y a quelques jours, j’ai reçu une lettre d’une dame, ne vivant pas dans le département, je vous en lis quelques extraits : « Je ne vous connais que par la télévision et j’ai confiance en vous. Je viens de perdre mon fils de 38 ans. Il a voulu secourir son fils de 13 ans et son ami, qui étaient en difficulté en mer. Il les a portés à bout de bras et puis il est décédé…S’il vous plaît, donnez-moi la force de continuer. Je prie mais je suis en colère et je suis anéantie. Donnez-moi des mots qui m’aident à comprendre. Rassurez-moi s’il vous plaît sur l’état de mon fils, s’il me voit. J’ai prié mais je ne suis pas apaisée… »
Difficile de lire une telle lettre sans éprouver une profonde émotion. Nous ne pouvons nous satisfaire du balbutiement de quelques phrases maladroites et toutes faites pour répondre au désarroi, au désespoir de cette maman, pour la rassurer comme elle le voudrait. Où chercher les phrases pour dire notre compassion, notre espérance, pour prononcer les mots qui consolent ? Où trouver les mots pour lui dire que nous croyons que son fils vit désormais dans la paix du Christ ?
Comme pour les disciples d’Emmaüs, nos yeux s’ouvriront, les mots nous seront donnés lorsque ensemble nous aurons rompu le pain de l’Eucharistie, quand nous aurons puisé la force d’aimer comme le Christ nous aime. Ce pouvoir de l’amour il nous vient de celui qui, nous « porte aussi au bout de ses bras transpercés, » comme le fils de cette dame a porté son enfant pour le sauver.
Oui, nous aurons les mots pour dire à celles et ceux qui pensent que l’Eglise est une vieille dame grincheuse qui dit toujours non, qui juge et qui condamne qu’ils se trompent. Je pense à celles et ceux qui ne se sentent pas accueillis, qui ne parviennent pas à se faire entendre, qui se sentent mal aimés, montrés du doigt. Quels que soient les chaos qu’a connu leur existence, qu’ils sachent qu’ils ont leur place dans l’Eglise, qu’ils sont attendus.
Ce lieu est le refuge des pécheurs, disait Benoîte Rencurel, mais l’Eglise tout entière est le refuge des pécheurs. Les chrétiens ne sont pas des donneurs de leçons mais des frères et sœurs aimants prêts à s’ouvrir à toute souffrance, comme le bon samaritain, animés du désir de panser toutes blessures. Ils n’ont pas à être les juges de ceux qui ne vivent pas comme eux.
Le Christ par sa vie nous a montré que ce ne sont pas les mots qui condamnent et qui tuent qui conduisent à la conversion mais l’Amour.
Forts de la nourriture Eucharistique, ayons le courage de faire entendre notre voix quand le visage du Christ est défiguré par la violence, la haine, la jalousie, l’injustice, le mépris, l’indifférence, le non respect de la dignité humaine.
Nous devons faire entendre notre voix, nous engager en citoyens à part entière, quand nous constatons que le critère premier de tout choix est le profit, la rentabilité, et que l’homme est traité comme de la matière.
On ferme des écoles, des hôpitaux, des bureaux de postes, des lignes de chemin de fer, que sais-je encore ? Pourquoi s’étonner alors que le tissu social se délite ? Nous, chrétiens, ne pouvons rester indifférents et inactifs devant ce constat. De quelle façon prenons-nous des responsabilités dans toutes les instances qui peuvent contribuer à sauver le premier chef d’œuvre en péril de la création : l’homme ?
Jusqu’à quand resterons-nous confortablement assoupis dans nos canapés regardant à la télévision l’autre moitié du monde mourir de faim et de soif ?
Il ne s’agit pas de nous culpabiliser, je sais que chacun, avec ses modestes moyens, fait ce qu’il peut pour apaiser la souffrance d’autrui. L’Eglise peut et doit apporter sa pierre pour redonner de l’espérance à un monde qui en manque cruellement. Notre foi, profondément enracinée dans l’Eucharistie nous permet de croire que le mal n’est ni fatal ni inéluctable. Nous devons travailler à la résurrection de l’Espérance.
Je n’oublie pas toutes celles et tous ceux qui donnent d’eux-mêmes et de leur temps pour que vive notre Eglise ; mais au nom de Jésus-Christ, je vous invite à vous engager toujours davantage, que ce soit dans le domaine politique, syndical, humanitaire.
Vous les enfants, apprenez à faire connaissance d’un ami comme il n’en n’existe nul autre, son nom est Jésus. Il ne vous abandonnera jamais !
Vous les jeunes, n’ayez pas honte de votre foi. Vous n’avez aucun complexe à avoir. Admirer le Christ, vouloir le suivre n’a rien de ringard. N’ayez pas peur d’aller jusqu’au bout de l’appel que peut-être vous entendrez, celui de vous mettre totalement à son service. Lui peut donner un sens à votre vie, vous conduire sur le chemin du bonheur qu’il est légitime que chacun de nous cherche.
Vous les personnes âgées, vous êtes les trésors discrets de l’Eglise. Si vos forces physiques déclinent, votre prière est une véritable richesse.
Vous les malades, dont certains sont actuellement avec nous grâce à la retransmission de RCF, vos souffrances offertes, associées à celles du Christ contribuent à sauver le monde.
Vous les familles, petites cellules d’Eglise, que vous soit donné le bonheur de voir vos enfants mettre leurs pas dans les pas du Christ.
J’ai retrouvé un texte du Cardinal Coffy écrit en 1971 lorsqu’il était encore évêque de Gap : « Dans son ouvrage « Une théologie de la réalité », le pasteur Dumas applique à la vie de Bonhoeffer un aphorisme que Nietzsche appliquait à l'évolution de sa propre pensée: «je vais vous énoncer trois métamorphoses de l'esprit: comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment le lion devient enfant».
Cela peut nous aider à situer notre époque par rapport aux précédentes et nous dire quel esprit nous devons avoir aujourd'hui.
L'esprit était devenu chameau quand, avec le savoir un peu lourd et encombrant que nous a légué la théologie du Moyen Âge, (…) nous répondions à toutes les questions posées. Sûrs de nous, sûrs de notre bagage, nous pouvions affronter de longs voyages à travers le désert.
Le chameau est devenu lion quand la chrétienté s'est peu à peu dissoute et que les attaques se sont multipliées contre l'Église d'abord, contre la religion ensuite, contre Dieu enfin. Nous avions alors des mots nets, clairs, tranchants. Nous avions un système de défense de la vraie religion.
Aujourd'hui, le lion devient enfant ou doit devenir enfant. Comme l'enfant, nous avons beaucoup de choses à apprendre. Comme l'enfant, nous devons nous faire petits et humbles dans nos affirmations sur le mystère de Dieu. Ce qui ne veut pas dire que nous devons nous taire. Comme l'enfant, nous devons avoir confiance et ne pas craindre de dire notre foi.
L'enfant qui doit tout apprendre demeure toujours l'enfant de quelqu'un. Il ne grandit et ne se développe qu'à partir d'un donné : son être qu'il a reçu de ses parents et toutes les richesses du passé qui lui sont transmises par l'éducation. Il n'y a pas pour l'enfant de commencement absolu.
Tout renouvellement suppose continuité. (…) Vouloir remonter par-delà les siècles à l'Evangile pour le retrouver dans sa pureté native, comme certains s'y essaient, est une tentative vaine. Se livrer à la créativité sans tenir compte de la Tradition, c'est oublier que l'enfant est toujours l'enfant de quelqu'un et de l'histoire.
Jamais autant qu'aujourd'hui où nous sommes appelés à faire fonctionner notre créativité, nous n'avons eu besoin de nous insérer dans la Tradition pour demeurer fidèles à cet Évangile que nous voulons annoncer dans sa pureté. »
Si je vous cite ce texte c’est parce que je trouve qu’il est une très belle introduction à la démarche que nous allons entreprendre au cours de cette année. « Faire fonctionner notre créativité » dit le cardinal Coffy. C’est bien de cela qu’il s’agit. Dieu n’attend pas que nous nous lamentions sur la situation mais que notre espérance soit communicative. La meilleure manière de préparer l’avenir c’est de faire face aux questions et problèmes d’aujourd’hui.
Tout en causant entre eux « de tout ce qui s’était passé », les disciples de Jésus sont en route vers Emmaüs. Il nous arrive aussi de parler «des épreuves passées». Aujourd’hui, moi, votre évêque, je vous le demande, tout à l’heure, lorsque nous prierons le « Notre Père » mesurez pleinement le poids des mots que nous prononcerons quand nous dirons : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Désormais, l’essentiel est de nous faire compagnons de route les uns des autres, maintenant. Nous sommes Pain et Vin les uns pour les autres comme le Christ l’est pour tous. C’est comme pain et vin que Jésus a partagé sa vie, et ça continue toujours.
Au cours de la démarche synodale, aurons-nous le courage de prendre les chemins les plus adaptés pour vivre l’Evangile dans le contexte de notre diocèse haut-alpin ? Elle ne portera des fruits, cette démarche, que si nous acceptons d’emprunter le chemin de la réconciliation. Comment être témoins de la miséricorde de Dieu si nous de parvenons pas à pardonner et à demander pardon ? Pourquoi parler d’amour si nous ne parvenons pas à nous aimer comme le Christ nous a aimés ?
En fait, il n'y a qu'un chemin sur lequel l'Eglise doit marcher. C'est le chemin d'Emmaüs. Sur ce chemin, elle doit toujours et encore apprendre du Seigneur lui-même comment déchiffrer notre nouvelle réalité avec cette « clé de lecture du don de soi ». Cela demande de l'humilité. Notre mission, c'est de découvrir à quoi ressemble le chemin d'Emmaüs pour nos communautés. Comment reconnaissons-nous le Christ ressuscité au milieu de nous ?
Nous devons être conscients que la communauté ne peut rester à Emmaüs. Faisant à nouveau l'expérience qu'aucune nuit ne peut être vraiment menaçante, nous pouvons repartir d'Emmaüs dans le but d'aller vers les autres qui n'ont pas encore trouvé la clé de lecture.
L'Eglise devient alors pour les hommes une chance de ne plus être muets mais d’avoir le droit à la Parole. L'Eglise devient alors pour les hommes une chance de découvrir leur véritable identité.
C’est ce à quoi je vous invite au cours de la démarche synodale, placée sous le regard bienveillant de Notre-Dame du Laus et sous la conduite du Christ, Maître de l’Amour, de l’Espérance, et de l’Avenir qu’ensemble nous allons vivre.
+ Jean-Michel di FALCO LEANDRI
Evêque de Gap